la peur de mourir

Publié le par claude pérès

  Bien sûr que ma colère est aveugle, bien sûr que n’importe qui peut reprendre chacun des points du texte précédent et le contester, moi le premier. Bien sûr que ce n’est pas raisonnable, que c’est injuste et fou et heureusement qu’il y a des gens pour le dire, il faut le dire, c’est vrai, vous avez raison. Eh bien voilà, quelques fois je m’aveugle avec la colère, quelques fois c’est avec l’alcool, il est même arrivé que ce soit avec l’amour. La colère, c’est un leurre aussi, je sais, merci. Je n’ai pas dit que j’étais mort.
  J’ai consigné beaucoup de souvenirs, pas tout, il y en a beaucoup que je n’ai pas écrits, je n’allais pas faire que ça non plus, et déjà, il y en a beaucoup que j’ai oubliés. Par exemple, je me rappelle qu’on avait un jeu, on disait en riant : « faire singe » et il me léchait le visage, on riait encore plus, il y en avait d’autres comme ça, mais je n’arrive pas à me souvenir, si, je me rappelle qu’on disait « faire mouche » quand il me gobait la bouche, les autres ne me reviennent pas, je sais qu'on disait quelque chose quand il me chatouillait, je crois, mais je ne sais plus. Autant, je me rappelle son regard si doux, tellement attendrissant, autant tous mes souvenirs sont en train de disparaître un à un. C’est atroce avec moi ça, je n’ai jamais aucun souvenir. Je n’ai pas de passé. Je suis né hier, ce matin, à l’instant. Je ne me rappelle jamais de rien, ni de personne. Au bout d’un moment, c’est même comme si je n’avais rien vécu.
  Ce n’est pas vrai, je ne juge pas les gens, ça me blesse qu’on dise ça quand même, personne ne peut de toutes façons, on ne juge jamais que des images, et les images, je les vois de moins en moins. Maintenant, ça ne veut pas dire que les gens, je les excuse, la difficulté de vivre, ça n’excuse rien, pas même la colère aveugle. Et que les gens me touchent ou non, qu’ils m’émeuvent ou qu’ils me tripotent, ça ne change rien au fait qu’on peut faire mieux. Je n’ai pas pitié des gens, avoir pitié, c’est un jugement, c’est parce que j’ai envie d’aimer l’humanité, avec un espoir immense, schizophrénique, que je ne pardonne pas qu’on essaie même pas. Je sais, on essaie tous, c’est d’ailleurs comme ça qu’on se fait piéger.
  Pourtant j’ai une mémoire qui fait de moi un quasi-autiste hyper mnésique, mais ça n’empêche pas que je n’ai pas de passé, que rien ne s’est passé à la fin pour moi. Quand des amis me racontent des choses qu’on a vécues ensemble, avec toutes sortes de détails en plus, je n’en ai tellement aucune trace en moi, que je finis par me dire qu’ils se trompent, que ce n’était pas avec moi ou que je suis fou. C’est comme si j’étais dépossédé, comme si les gens me connaissaient mieux que moi-même parce qu’ils connaissent un passé que je n’ai pas l’impression d’avoir vécu. Alors voilà, l’amour immense pour lequel j’aurais pu mourir, bientôt, ce sera comme s’il n’avait jamais existé, je ne me rappellerai plus de rien. J’en garderai une ou deux images, sorties du contexte, sans aucune émotion attachée. Et je n’y peux rien. C’est comme ça. Je ne garde même pas assez de souvenirs pour regretter de toutes façons. 
  Est-ce qu’il faut forcément faire quelque chose de sa vie, est-ce qu’il faut en plus forcément faire mieux, j’imagine que non, j’imagine que ça disparaît ça aussi, d’ailleurs je ne l’imagine pas, je le sais, c’est tout. Qu’on soit en colère, qu’on soit soumis, qu’on soit soumis à la colère, qu’on se révolte en ne voulant rien faire ou qu’on fasse quelque chose pour se révolter, qu’on aime les gens pour ce qu’ils ne sont pas ou qu’on les excuse d’être ce qu’ils sont, qu’on soit regardant ou non, ce qui est sûr, c’est que ça disparaît à la fin. Pourtant, je n’arrive pas à renoncer à vivre, sous prétexte que ça disparaît de toutes façons, et que je me fais piéger avec ça, je n’y arrive pas du tout, je veux dire, je n’arrive pas à renoncer à la colère, par exemple, non pas parce qu’il y a de quoi, ça c’est certain, il y a de quoi être en colère, quoi qu’on en dise, vraiment, non, je ne renonce pas à la colère parce que je ne suis pas mort. J’imagine qu’il y aura quelqu’un pour me dire que c’est fatigant les gens qui se débattent contre la mort, que c’est en acceptant de mourir, qu’on accepte de vivre, j’imagine même que je suis déjà ce quelqu’un, enfin presque, pas encore tout à fait, mais ça vient, je vous le jure, donnez-moi un peu de temps pour que ma peur de mourir disparaisse aussi, pour l’instant, j’ai quand même encore vraiment trop peur.

Publié dans ruptures

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M
moi aussi j'ai peur de la mort. Moi aussi ça me met dans une colère noire la mort. J'aimerais tellement me survivre, même juste un instant.
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C
le plus drôle là-dedans, c'est que la peur : <br /> c'est le désir....
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M
je n'avais jamais réfléchi à ça, en tous cas pas comme ça, je ne suis même pas sûre de comprendre ça qu'il faille accépter la mort pour pouvoir vivre...enfin peut-être que c'est parce que la mort ou le vide fait peur oui...mais comme la vie aussi fait peur, j'imagine que c'est normal d'être en colère quelques fois. En tous cas, tes textes, eux, sont toujours plein de vie...
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M
il restera une pierre. Parce que tout ne peut pas non plus disparaitre comme ça, c'est pas possible, il y a des relais, et des relais des relais. Passe une bonne nuit,
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