« Je suis vivant, c’est pourquoi je souffre » Vaslav Nijinski

Publié le par claude pérès

  Je ne vois pas pourquoi on peut porter plainte pour coups et blessures, pour vol, pour viol… je ne sais pas, pour toutes sortes d’agressions, mais pas quand on a mal d’aimer. On devrait pouvoir porter plainte, ce serait la moindre des choses, ça tue des gens l’amour, ce n’est pas comme si ce n’était rien. Il y a des choses qu’on devrait ne pas avoir le droit de faire, ne pas pouvoir faire du tout avec l’amour et on le fait quand même, parfois même on ne se rend pas compte de ce qu’on fait, et on le fait et on n’arrête pas de le faire, alors voilà on devrait porter plainte tout le temps, parce qu’on a peur ou parce que l’autre a peur, parce qu’on fuit, parce qu’on étouffe, parce qu’on n’est pas à la hauteur, parce que c’est trop ou pas assez, parce qu’on est injuste, je ne sais pas, pour toutes les raisons qui font mal.
  Je n’ai pas envie de porter plainte en ce moment, je m’en fous, c’est juste une idée qui m’est venue.
  Il a toujours espéré que les gens allaient se suicider pour lui tellement il leur faisait mal, moi je pense que j’aurais dû lui casser la gueule et tout saccager, mais je ne l’aimais pas assez pour ne pas en avoir rien à foutre ou je l'aimais assez, c'est pareil. Je n’en avais rien à foutre, parce que ce qu’il me donnait ce n’était pas tout l’amour immense qu’il avait pour moi, ça, à la fin, il se le gardait, c’était sa demande dévorante et illimitée, on ne se suicide pas pour ça, mais porter plainte oui, porter plainte contre ses plaintes illimitées oui.
  Il y a des gens qui ont réussi à me faire croire que je n’étais pas capable d’aimer, que j’étais trop dur, que je n’avais rien à donner à personne, et je l’ai cru vraiment, que j’étais à sec, que je ne pouvais pas, vraiment, oui, mais ce sont des gens dont les demandes étaient déraisonnables, et c’était de l’amour de leur dire non. J’imagine que ça aurait été de l’amour aussi de comprendre ça.
  Je n’ai pas le goût de vivre, comme on dit, et on a raison de dire comme ça, parce que c’est vrai, là par exemple, vivre pour moi, ça n’a aucun goût. Ce n’est pas grave, c’est juste que je m’en fous un peu de tout, je veux dire, je m’en fous aussi de m’en foutre, ça n’a pas beaucoup d’importance, j’attends juste que ça revienne, le cœur qui s’emballe et tout ça, et ça va revenir, je le sais, je me connais, j’aime trop vivre pour en perdre le goût très longtemps.
  Je vois bien dans la pièce de Meg Stuart, Replacement, le courage qu’il y a à ne pas chercher à bien faire, à faire, à avoir suffisamment confiance pour faire simplement, spontanément, sans jugement aucun, je vois ça chez Christine Angot aussi, je vois ça beaucoup en ce moment, c’est devenu une mode. Après, ça reste assez formel, parce que du savoir-faire, elles en ont et qu’elles savent le montrer assez pour qu’on le sache. Je suppose qu’on leur demande ça, qu’elles se le demandent aussi, qu’elles se le demandent rien que parce qu’elles cherchent à savoir ce qu’elles font. Je suppose aussi que Nijinski ne se demandait pas ce qu’il écrivait dans ses cahiers. Au-delà de la forme, il y a une piste à suivre là-dedans, un truc qui a à voir avec la schizo-analyse de Deleuze et Guattari, et aussi un truc qui a à voir avec la maturité tout simplement. Mais je ne vais pas parler de ça pendant des heures là maintenant.
    D., si tu veux faire un peu partie de ma vie, essaie de prendre un peu de place quand même, fais moi un peu de place aussi dans la tienne, pas beaucoup, mais assez pour que ce soit un petit peu trop, juste un petit peu, une relation, c’est toujours trop, c’est ça qui est bien aussi, même si c’est ça qui est flippant, je sais.
  J’ai perdu la confiance infinie, tellement solide, la force même que j’avais quand j’étais aimé. Pendant longtemps, c’est resté tel quel, inébranlable tellement c’était fort, et puis ça a fini par partir. Ce n’est pas grave, ça non plus, enfin pour l’instant ça l’est un petit peu, mais ça va passer ou revenir, je ne sais pas.
  Je n’ai pas envie de me plaindre, j’aimerais dire que j’adore vivre, que la vie, qu’est-ce que c’est beau, que c’est incroyable tellement et tout ça, j’aimerais dire ça, avoir envie, donner envie, faire envie, je ne sais pas, je n’ai pas envie de porter plainte non plus, je n’ai pas envie de porter ma plainte, on ne porte pas ces choses-là, c’est trop lourd et c’est dégueulasse. Non, non je ne me plaindrai pas, ça va, ça va aller, je le sais, vraiment.

Publié dans ruptures

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M
oui ça revient...c'est très étrange d'ailleurs que ça reveinne et plus vite qu'on ne le pense...c'est très étrange mais tant mieux. Ca aussi je ne sais pas si ça a à voir avec une certaine maturité...le choses passent...
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C
...
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