Que le monde meure

Publié le par claude pérès

  Quelques fois, je voudrais que le monde meure, qu’on n’en parle plus.

  On pourrait faire tellement mieux quand même.

  Il y a des gens qui prient, moi je voudrais que le monde meure.

  En ce moment, là, précisément, je ne le veux pas. Je m’en fous. Je ne sais pas si ça veut dire que je suis plus désespéré encore, tellement je n’y crois plus du tout, ou si ça veut dire que ça va mieux, que je m’y fais.

  Je ne veux pas m’y faire. Je ne veux pas me faire à l’horreur de ce monde. Se faire à l’horreur de ce monde, pouvoir vivre et bien vivre avec cette horreur autour, c’est à ce moment-là qu’on devient un monstre, j’en suis sûr.

  Le monde est horrible de toutes façons et il y a une raison à cela, au-delà de la violence, des guerres, des gens qui crèvent, c’est que le monde, la foule dans le monde, c’est la preuve physique et indéniable qu’une vie, ma vie par exemple ou n’importe quelle autre, n’est rien, que le monde s’en passe très bien. Et personne ne peut vivre avec cette conscience, parce que la vie qu’on essaie de vivre, c’est tout sauf ça. L’horreur que l’on voit quand on voit le monde, c’est le non-sens contre lequel chacune de nos vies bute.

  Quand je vois le monde, je vois concrètement que ma vie n’a pas de sens, que je peux mourir à tout moment, et c’est comme si j’étais déjà en train de mourir, ce qui est sans doute le cas, alors que ma vie entière est consacrée à nier la mort en donnant sens à tout. Je ne peux pas vivre dans ce monde, parce que la vie que je veux vivre nie ce monde et ce qu’il est d’horreur pour ma vie.

  Aimer, c’est échapper à la foule et au monde, c’est-à-dire à la conscience de l’horreur et à celle de la mort en affirmant son territoire dans celui de l’autre qui affirme son territoire dans le mien. On est immortel quand on aime, au moment précis où on aime, seulement voilà, on ne peut pas aimer tout le temps. Aimer, c’est donner sens à l’autre, c’est-à-dire lui faire oublier que la vie n’a pas de sens et qu’on meurt. Et l’amour peut faire ça. Vraiment. On peut se tuer par amour aussi, mais on ne se tue pas pour mourir dans ces cas-là, on se tue pour ne pas mourir, pour que l’amour ne meure pas. Il y a des gens qui y croient. C’est même très beau. Que des gens meurent pour ne pas mourir, c’est possible.

  Que l’on construise des sociétés, que l’on emprisonne des foules entières dans une toile de sens, qu’on essaie d’organiser les foules, de les diriger avec les dieux, les sciences, la beauté, l’argent, l’amour, la perfection, le travail comme garde-fous et comme leurres, que l’on prenne ce qui nie fondamentalement le sens pour y mettre du sens, je ne comprends toujours pas comment c’est possible. Que des foules entières puissent nier la foule, c’est forcément dingue. Evidemment que ça ne marche pas, évidemment que ça ne rend pas les gens heureux. Qu’on récupère ça encore, ce malheur, la preuve que ça ne marche pas, pour insister encore, pour motiver les gens pour qu’ils se soumettent plus et mieux à tous les idéaux qu’on invente, qu’on arrive à faire qu’ils se disent qu’ils ne sont pas à la hauteur et qu’il faut faire mieux, qu’ils soient leurrés au point de vouloir se leurrer plus encore, ça ce n’est même plus que c’est dingue, c’est tyrannique.

  Quelques fois, je voudrais que le monde meure, qu’on n’en parle plus, parce que tant qu’on le maintient en vie, on ne peut pas vivre.

Publié dans ruptures

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D
tant qu'on le maintient on ne peut pas vivre.comment le maintient on si ce n'est en vivant ? Est ce qu'il faut alors considerer de vivre pour soi afin de se satisfaire d'une vie?
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